Premières lignes #10 - 2020
Premières lignes #10 - 2020
Rendez-vous
pour vous donner envie de découvrir ma lecture du moment
Les premières phrases … avant de lire ma chronique dans
quelques temps.
On m’a trouvée endormie au milieu des brebis, là-haut, un jour de
grand soleil, au pied d’un genévrier. C’était à l’automne de l’année 1901. Je
me suis demandé souvent qui m’avait couchée là, sur un lit de mousse blanche,
entre les baies sauvages, et je n’ai jamais su le jour exact de ma naissance.
Il y avait une feuille de papier glissée entre la couverture de laine et ma
peau, où quelqu’un avait écrit : « Elle s’appelle Marie. » C’est
pourquoi on m’a longtemps appelée « Marie des brebis ».
Celui qui m’a trouvée, lui, s’appelait JOHANNES. C’était le pastre
de MASLAFON, un hameau perdu dans les bois de chênes, là-bas, sur les collines,
à trois lieues de Rocamadour. La grèze (Lande d'arbustes et d'herbe rase) où il
gardait son troupeau se trouvait à moins d’une lieue du hameau. Aussi n’y
revenait-il que tous les deux ou trois jours, pour les provisions. Il m’a
gardée et m’a nourrie au lait de brebis. Je n’ai jamais su pourquoi. C’est
vrai qu’il était un peu original, JOHANNES : il parlait à la lune, la
nuit. Peut-être aussi avait-il besoin de compagnie, ou alors son chien ne lui
suffisait pas. En tout cas, il m’a emmenée dans la bergerie au milieu des
brebis – chez nous, sur le causse du Quercy, on dit « brebis »
et non pas « moutons » : moi, je trouve que c’est plus joli,
même aujourd’hui encore, à quatre-vingts ans passés, tandis que ma vie s’achève
et que je bois un peu de soleil sur mon banc, en attendant de m’endormir du
sommeil dont on ne se réveille que dans les bras du bon Dieu.
À propos de sommeil, je n’ai jamais si bien dormi que dans la
paille des bergeries et l’odeur chaude des bêtes. Sans doute parce que c’est là
que j’ai passé mes premières nuits, veillée par JOHANNES et son chien noir à
pattes blanches. C’était un peu comme si je n’étais pas sortie du ventre de
celle qui m’avait abandonnée. Je ne lui en ai jamais voulu, la pauvre
femme ; de ma vie, je n’ai souhaité de misères à quelqu’un. Je suis comme
ça. On disait de moi : « Marie, c’est de la mie. » Et c’était
vrai. Peut-être parce que, malgré tout, j’ai été heureuse pendant ces premiers
jours de ma vie durant lesquels JOHANNES me portait sur son dos dans un sac
attaché autour de ses épaules, comme je l’ai vu faire aujourd’hui à des femmes
aussi bien qu’à des hommes… Les pauvres.
Quand il est revenu au mas, le maître lui a dit :
— La petite, à l’Assistance ! On n’a pas le droit de la
garder.
— Moi, je la garde.
— Si tu la gardes, tu es libre.
— Je suis libre, a dit JOHANNES.
On est partis le lendemain, lui, moi et son chien.
Oh ! pas bien loin. C’était un homme de confiance, ...
→ Sa plume humaniste et poétique,
souvent nostalgique, raconte des histoires entre la biographie et la fresque
historique.
Titre : Marie des brebis (1 mai
2018)
Auteur : Christian SIGNOL
Éditeur : Pocket
Nombre de pages (papier) : 187
Ce
rendez-vous hebdomadaire a été créé par Ma Lecturothèque.
Il
s’agit de présenter chaque semaine l’incipit (premières phrases) d’un roman. Il
vous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers,
une atmosphère.
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